En tant qu'autrice de bande dessinée, je reçois régulièrement des demandes d'informations pour savoir comment éditer un album, mais également des demandes de devis de la part d'aspirants scénaristes, pour que je réalise un album de BD complet (entre 40 et 200 planches), qu'ils veulent faire éditer.

L'édition de bande dessinée a ses propres règles, souvent méconnues de la part des personnes qui ne font pas partie de ce milieu, et le risque de se faire arnaquer, ou juste de ne jamais voir son projet se réaliser est important, si on ne connait pas ses règles, et surtout, si on veut passer par la commande pour faire réaliser son album (hors contexte d'une entreprise).

Voici donc une (longue) explication sur "pourquoi ce n'est pas une bonne idée, en tant que particulier, de commander et payer 40 planches de BD à un artiste en vue de les faire éditer", "la procédure classique pour faire éditer un album". Et quelques pistes pour des solutions alternatives éventuelles.

Dans l'ordre :

Pour proposer un projet éditorial seul en tant que scénariste.

Pour proposer un projet éditorial avec un.e dessinateur.ice

Pour un projet qui restera dans un cadre totalement privé et non-exploité

Pour un projet dans le cadre d'une auto-édition (avec ou sans crowdfunding)

*Toutes ces informations concernent la bande dessinée en France. Je ne saurai vous renseigner sur les délais et tarifs concernant les autres pays et les maisons d'édition situées hors de la France.*

. Généralement, pour réaliser un album complet, en vue de le faire éditer,

les auteurs (scénariste et dessinateur.ice) passent par une maison d'éditon, ou instaurent entre eux une collaboration en dehors d'un contexte de commande.

Si vous souhaitez faire éditer la bande dessinée, le plus simple est de préparer un dossier éditorial que vous pourrez directement envoyer à des éditeurs qui pourront alors, si ils acceptent votre projet, payer le scénariste et le dessinateur, ainsi qu'un éventuel coloriste, en leur fournissant des contrats d'engagement et de sessions de droits; s'occuper du maquettage et de la mise en page; s'occuper de l'impression de l'album et de sa distribution.

Pour préparer un dossier éditorial, vous pouvez :

- (si vous êtes écrivain ou scénariste, et que vous ne dessinez pas) envoyer directement aux éditeurs un pitch de votre histoire d'une ou deux lignes, un synopsis de 2-3 pages maximum, et une note d'intention précisant ce que vous imaginez en terme de format, style de récit (jeunesse, humour, aventure, polars, drame, etc...) et en précisant le style de dessin que vous aimeriez voir pour illustrer votre texte (vous pouvez citer des noms d'auteurs ou d'albums de BD).

* Normalement, le scénariste s'occupe d'écrire le scénario, incluant le découpage écrit du storyboard page par page et case par cases, avec le dialogue. Si vous ne souhaitez pas gérer cette partie, il faut alors le noter, pour chercher, en plus d'une collaboration avec un.e dessinateur.rice / coloriste, un scénariste, qui s'occupera d'adapter votre récit sous forme de scénario de BD.

Si un éditeur est intéressé par votre projet, il vous proposera de vous mettre en contact avec des dessinateurs, en vous laissant, normalement, le choix de la personne et du style de dessin.

(c'est ce qui s'est passé pour mon album "Le Dernier Refuge", parut aux éditions Glénat : le scénario avait été validé par mon éditrice, qui m'a ensuite contacté pour me proposer d'illustrer le projet).

. Vous pouvez également présenter un dossier (avec toujours le pitch, le synopsis et la note d'intention), avec un.e dessinateur.ice en y joignant entre 2 et 5 planches de BD abouties (couleur ou noir et blanc. Si les planches sont en couleurs, ajoutez aussi la version en noir et blanc pour que l'éditeur puisse juger du trait, et vous propose éventuellement de travailler avec un coloriste), et éventuellement ajouter des pages de croquis et de recherches de personnages, pour permettre à l'éditeur de se projeter dans votre projet.

Dans ce cas, en général, le scénariste ne paye pas le dessinateur : il s'agit d'une association entre deux auteurs (scénariste et dessinateur), qui vont monter le projet ensemble sans qu'il y ait d'argent en jeux dans un premier temps, pour le soumettre à un éditeur.

C'est l'éditeur qui s'occupera alors de payer tout le monde.

Pour trouver un dessinateur pour votre projet dans ce contexte, vous pouvez contacter des auteurs via leurs site ou réseaux sociaux (Instagram ou Cara par exemple), en recherchant des personnes qui ont un style graphique qui vous plait et qui aborde des thèmes proches de ceux traités dans votre roman ou projet.

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Je me permet de noter cela et d'insister, car il peut être vexant pour un dessinateur qu'on le contacte pour illustrer une BD avec des thèmes et des styles de dessins qui ne correspondent pas du tout à son travail (et idem pour l'éditeur, renseignez vous en amont sur son catalogue). Comme il s'agit d'une collaboration qui sera, non-rémunérée dans un premier temps, le dessinateur de BD préférera généralement travailler sur des thèmes qui lui plaisent et le touchent.

Dans ce contexte, le dessinateur n'est pas votre employé et vous n'êtes pas son patron.

Le dessinateur n'est pas non plus une machine à dessiner destinée à faire le lien entre la feuille et le scénariste.

Il est important d'établir un lien de confiance et une bonne communication entre le dessinateur et le scénariste, car la réalisation d'une bd prend du temps et les quiproquos ou disputes qui feront tomber le projet à l'eau peuvent arriver vite.

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Envoyez aussi un pitch et une brève note d'intention de votre projet au dessinateur que vous voulez contacter.

Si l'album est déjà en parti découpé (page par page, case par case, avec les dialogues écrit), ce sera un plus, car le dessinateur pourra mieux se projeter, voir votre façon de travailler, et vous donner sa réponse.

Là encore, si vous n'avez pas prévu de découper vous même l'album, il faudrait prévenir le dessinateur d'emblée, car certains sont habitués à avoir un scénario très précis et guidé et n'ont pas le temps ou l'envie de gérer le découpage.

*à l'inverse, certains scénariste propose le découpage sous une forme déjà dessinée. Certains dessinateurs se sentiront plus à l'aise avec ce découpage, d'autres se sentiront coincé. A vous de voir la solution qui convient le mieux à chacun.e.

Voilà pour la partie "réaliser un album en vue de le faire éditer".

. (Pour les scénariste) si vous souhaitez par contre, garder l'album "pour vous" dans un contexte privé, et le faire réaliser par un.e dessinateur.rice, comme c'est une commande le prix ne sera généralement pas le même que celui proposé par l'éditeur, et sera plus élevé.

Une planche de commande en version numérique, dessiné par un.e dessinateur.ice de BD professionnel.le, peut par exemple vous coûter : en noir et blanc, 250 euros ou plus; 450 euros ou plus pour une planche couleur.

* Ces exemples de tarifs s'appliquent pour un travail qui restera visible dans un contexte privé, non-exploité, et par pour une édition ou une auto-édition.

Pour utiliser les planches dans un cadre d'édition ou d'auto-édition, il faudra ajouter un coût pour des cessions de droits à durée limitées et des droits d'auteurs pour chaque vente d'album.

. Enfin, si votre projet est d'auto-éditer votre album, par vos propres moyens financiers, ou en passant par un crowdfunding, le plus simple reste sans doute de faire un partenariat avec un.e dessinateur.ice, comme pour la solution "éditeur", où chacun aura la volonté de porter le projet et de le faire vivre.

Je suppose qu'il faut alors se mettre d'accord d'emblée sur la rémunération à partager sur les ventes d'albums (en général c'est aux alentours de 30% pour le scénariste, 70% pour le dessinateur, et si il y a un coloriste il faut aussi le rémunérer),

et prévoir tout ce qui découlera de l'auto-édition (maquettage et mise en page, impression (compter au moins 5 000 euros pour imprimer 1 000 albums de BD chez un imprimeur professionnel), stockage et distribution des albums), et se qui découlera de l'éventuel crowdfunding (qui demande une énorme implication en terme de publicité et de mise en avant sur les réseaux sociaux), tout en prévoyant une enveloppe financière pour de potentiels goodies à envoyer aux donateurs, etc...

Si vous ne trouvez pas de dessinateur.ice pour s'associer avec vous dans ce projet et que vous vous dirigez vers la commande, la question me parait plus complexe,

dans le sens où, au delà de réaliser les dessins des planches, il faut penser à la partie "maquettage et mise en page" de l'album, à de potentiels rendez-vous avec l'imprimeur, ou retouches pour l'impression, à la réalisation de dessins annexe dans le cadre d'un crowdfunding pour faire la publicité de l'album, la distribution, la potentielle présence en festivals, les dédicaces de l'album pour les acheteurs, etc, etc..

Tout ceci représente énormément d'implication et d'heures de travail, difficilement chiffrables en amont, qui peuvent justifier une très grosse rémunération supplémentaire pour le dessinateur.ice.

En conclusion : selon moi la solution la plus sûre et la plus classique est de trouver un.e dessinateur.ice pour lui proposer un partenariat pour monter un projet éditorial (sans qu'il y ait de rapport d'argent entre les deux parties), en cherchant via les réseaux sociaux et en envoyant un mail décrivant le projet, puis de monter le dossier éditorial et de l'envoyer à des éditeurs, en espérant une réponse positive.

Dans un deuxième temps, si aucun éditeur n'a accepté le projet, vous pourrez alors songer, avec le.la dessinateur.ice, à l'auto-édition (en étant conscient de tout ce que cela implique en terme de coût et d'investissement, et en prévoyant des solutions pour la distribution de l'album), et voir comment répartir les dépenses et les revenus en lien avec l'album entre vous et le dessinateur.

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Je pense que l'idée de commander les planches d'un album complet à un dessinateur est risquée à plusieurs niveaux (coûts potentiellement très importants, potentielles arnaques (envers le scénariste ou envers le dessinateur (j'ai déjà été témoin de ça, c'est pour ça que je me permet de le dire)), difficulté à contractualiser la suite en terme de droit d'auteur, droit de diffusion, droit d'exploitation, etc...

Si vous tenez à commander des planches, au moins pour illustrer votre dossier, ou demander à cette personne de réaliser intégralement votre dossier.

Vous pouvez alors vous cantonner à 2, 3 ou 4 planches (pas forcément toutes en couleur), tout en prévenant le.la dessinateur.ice du contexte dans lequel les planches seront exploitées, et se mettre d'accord sur l'engagement ou non pour la suite, pour le cas où un éditeur remarque votre dossier.

Si le dessinateur ne souhaite pas donner suite après la commande, il peut-être prudent de noter dans le contrat que le style de dessin et le character design pourront être exploités si le projet trouve preneur auprès d'une maison d'édition (quite à créditer le dessinateur de la commande originelle), et d'ajouter une close pour savoir si la mise en page des planches réalisées lors de la commande peuvent être réexploitées, pour diminuer les risques de quiproquo, de mésentente et d'accusation de plagiat.

(Bien communiquer et être transparent peut éviter beaucoup de soucis à long terme. Ce n'est pas le moment de faire de la rétention d'information ou d'essayer de la faire à l'envers aux personnes avec qui vous collaborerez)

* A noter :

.Temps de réalisation d'une planche de BD : Une planche de bande dessinée en noir et blanc, comprenant storyboard (brouillon dessiné de la planche), crayonné, encrage, mise au propre, ajout de textes et de bulles, prend en moyenne une semaine à temps pleins (ajouter 2 ou 3 jours pour la mise en couleur). Plus ou moins selon les dessinateurs.

Les recherches de personnages constituent un travail supplémentaire qui peut également prendre beaucoup de temps.

Le niveaux de détails de la mise en couleur fera aussi varier le temps passé sur une planche et potentiellement le budget (le temps de colorisation ne sera pas le même pour des aplats que pour un rendu avec beaucoup d'ombres, de lumières, de détails et d'effets de textures)

Certains dessinateurs.ices seront peut-être partant.e.s pour travailler avec vous, mais le délais d'attente peuvent-être longs, si iels ont déjà des travaux en cours à terminer avant de s'occuper de votre projet.

.Tarifs éditoriaux minimums non-officiels :

. Ecriture d'un scénario + découpage écrit : 50 euros Brut

. Dessin (storyboard dessiné, crayonné, encrage) : 150 euros Brut

. Mise en couleur d'une planche de BD en version numérique : 80 euros Brut, même si certains éditeurs descendent parfois à 50 euros (qui doit rester un tarif minimum).

*Je note ces tarifs comme étant un minimum non-officiel pour les travaux édités à compter d'éditeurs (les travaux de commandes, notamment pour les entreprises, sont généralement facturés beaucoup plus chers).

Beaucoup de maisons d'édition proposent des tarifs moins élevés. Je vous conseille alors de peser le pour et le contre et de vous demander si l'intérêt et les bénéfices personnels que vous trouverez à accepter ces tarifs compensent la faible rémunération (et à l'inverse, si on vous propose des rémunérations beaucoup plus haute pour un travail qui vous donne l'impression de faire totalement fausse route par rapport à vos aspirations où à vos valeurs, prenez le temps de la réflexion.)

. Aide juridique : Pour tous les aspirants auteurs de BD, jeunes auteurs, ou auteurs installés, je vous recommanderai vivement de vous inscrire à l'ADAGP, qui protège et aide les artistes, à qui pourront vous renseigner sur vos questions autour des droits d'auteurs, droits d'exploitations, rédaction de devis et de contrat, ou même litige.

https://www.adagp.fr/

J'espère avoir put vous renseigner au mieux.

Bon courage et bonne chance dans vos recherches et projets !

Alex-Imé, Dessinatrice de bande dessinée et créatrice de la plateforme "Les Interventions BD"

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